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24/04/2012

Bidoche...

En écho à un des postes très récents d’une amie, je voudrais aborder ici la question du végétarisme.

Je tiens à préciser que je ne suis pas encore ce qu’on peut légitimement appeler un végétarien, et peut-être ne le serais-je jamais totalement. Actuellement on pourrait me dire - si cela a un sens -, semi végétarien : je me suis, pour l’instant, contenté de réduire au maximum ma consommation de viande ; j’en mange une à deux fois par semaine, ce qui est peu, mais suffit à me mettre à l’abri de carences éventuelles, car je n’ai pas encore bien adapté mon régime alimentaire à l’absence totale de viande. C’est une démarche évolutive et, à terme, il est possible que je finisse par m’en passer totalement.

Pourquoi ce choix ? 

Rien, en effet, dans mon histoire personnelle ne me prédispose particulièrement à devenir végétarien. J’aime la viande et j’ai toujours aimé en manger, et bien qu’ayant été entouré d’animaux toute ma jeunesse, je n’ai jamais vraiment à l’époque fait de lien entre eux et mon régime alimentaire. Manger de la viande était dans l’ordre des choses, il fallait en manger pour être en bonne santé ; aucune interrogation sur ce sujet autour de moi ; aucun lien véritable dans mon esprit entre les animaux qu’on mange et ceux qui nous accompagnent dans notre vie ; un lien abstrait, tout au plus, aussi abstrait que celui qui relie dans notre tête la vache broutant paisiblement dans son pré et un beefsteak. Lorsque je fouille dans ma mémoire, j’y retrouve le vague souvenir d’une émission télévisée sur les abattoirs, avec cette image d’un cochon suspendu par les pattes arrières qu’un type découpait en deux vivant avec une scie circulaire ; image atroce mais que mon esprit de gamin s’est empressé d’oublier. 

C’est bien longtemps après, jeune adulte, que j’eus mon premier véritable choc. Une séquence brève (à la télévision encore) : un fourgon mène des animaux à l’abattoir dans des conditions atroces ; une autre image vient se superposer aussitôt : celle des camps d’extermination. Je ne peux ensuite me défaire de cette image qui finit par modifier totalement mais temporairement mon rapport à cette réalité. Je me rappelle très nettement à cette époque de l’impression éprouvée une fois à la vue d’un étalage de poissonnerie dans un supermarché ; je vois les poissons l’œil vitreux, gueules ouvertes, tels des cadavres empilés. Entendez bien : je ne vois plus abstraitement de la nourriture, un étalage de produit, mais je vois des corps sans vie jetés les uns sur les autres ; la réalité brute de la chose sans filtre mental.

Pendant quelques temps, je deviens littéralement incapable ne serait-ce que d’envisager de manger de la viande. Mais peu à peu, la croyance très enracinée et relayée partout du caractère indispensable pour la santé de la consommation de viande m’incite malgré tout à consommer régulièrement du poisson et des fruits de mer ; pour me calmer ma conscience, ma logique est la suivante : n’étant pas des mammifères, ces êtres à l’intelligence et la conscience réduites ne souffrent pas comme nous et leur parenté avec nous me semble pour le moins lointaine. Je me persuade de cette manière fort commode, et le temps aidant, mon premier choc perd en intensité. Ma conscience est ainsi apaisé et ma santé à l’abri. Tout est pour le mieux.

Mais après un an de ce régime, je finis par capituler, me convainquant progressivement que je me prive d’un plaisir de la vie, et que la frustration n’est pas en soi une chose souhaitable pour mon équilibre. Et puis je mange déjà d’autres animaux, alors… Je me mets donc à manger frénétiquement des Kebabs pour venir consoler cet être partiellement frustré que je pense, peut-être à raison, être devenu. Je suis redevenu un omnivore amateur de barbaque ; il faut dire aussi qu’à l époque je partage ma vie avec une personne plutôt carnivore et absolument personne autour de moi n’est végétarien, bien au contraire ; cela a aussi pu jouer en faveur de cette évolution. 

Ce n’est que tout récemment que cette question s’est reposée à moi. Tout d’abord par un carême que je passe il y a deux ans en m’inspirant de la pratique orthodoxe où l’on proscrit tout produit de type animal, lait compris. J’apprends donc pendant une longue période à me passer de ce type de nourriture.

Mais le plus important : plus récemment, plusieurs livres m’interpellent et replacent le sujet au cœur de mes préoccupations. Avec l’autobiographie de Gandhi, je me retrouve confronté à la question du végétarisme (visiblement fondamentale  pour l’auteur). Et je réalise cette idée pourtant fort simple : beaucoup de gens à travers le monde vivent très bien sans jamais consommer de viande ; voilà le dogme diététique mis à mal. Je perçois la démarche de Gandhi comme une volonté très forte de mise en adéquation des actes de la vie quotidienne et des conceptions spirituelles et philosophiques. Ce qui me séduit, car depuis quelques temps  je me méfie des idées abstraites et des raisonnements purement spéculatifs. Seul ce qui s’ancre profondément dans l’existence et l’expérience, ce qui admet le changeant, le paradoxe dans toute leur dimension existentielle, bref ce qui me paraît refléter véritablement la condition humaine et la vie telle qu’elle est trouve grâce à mes yeux.

Un peu plus tard encore, je suis séduit par le livre de Marcela Iacub, Confessions d’une mangeuse de viande que je trouve très pertinent, humain et non dénué d’humour. Je jette aussi un œil sur celui de Safran Foer, très différent de celui de Iacub mais tout en nuances et modération et très complet. Les lectures de livres tournant autour du bouddhisme auxquelles je me suis adonné très récemment n’ont pas manqué elles aussi de jouer leur rôle dans cette prise de conscience. Quelques rencontres y ont sûrement ici aussi leur part.

Aux affects et  à l’empathie, se sont mêlés, grâce à mes lectures, des considérations d’ordre existentiel,  d’ordre écologique et d’ordre spirituelle, et le végétarisme me semble aujourd’hui quelque chose d’envisageable et de souhaitable.

Mais la vie (une certaine forme de maturité, qui sait ?) m’a rendu un peu plus pondéré, un peu plus sage peut-être (au sens où je pense être plus à l’écoute de moi-même et de mon fonctionnement), que je ne l’étais encore il y a peu. J’évolue donc dans cette direction tranquillement, naturellement et sans me contraindre. Je n’éprouve pour l’instant aucun manque, aucune frustration et je ne m’interdis rien. Par exemple, j’accepte sans problème de manger de la viande lorsque je suis invité chez quelqu’un ; premièrement, parce que j’en mange un peu déjà à la base et que les gens sont de toute façon rarement au courant de mon choix car je ne porte pas mon quasi végétarisme en étendard et ne veux ennuyer personne avec des dispositions qui ne regardent que moi (pas de menu spécial réservé à mon attention, donc, ni de repas végétarien pour tout le monde pour simplifier les choses). Je pense que ce fonctionnement est de toute façon plus apte à inscrire ma démarche dans la durée. Fin du laïus.

 

17:40 Écrit par Neothene dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : végétarisme, alimentation, régime